Roukia BOUKEZZOULA
Laura DOMINGUEZ
Léa GARDIC
Clothilde HAGARD
Hugo LEFEBVRE
Fabrice ROLLAND
Étudiants en M2 Management et Développement de Patrimoine Immobilier
IAE de Metz – School of Management
En partenariat avec l’ESI 92 et la CCI 57
Introduction : la transition écologique, un enjeu planétaire
Aujourd’hui, les enjeux de la transition écologique sont innombrables, car primordiaux pour la survie de l’espèce humaine sur cette terre. Pour Michel Prieur (2014), Doyen honoraire de la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges et Directeur scientifique du CNRS : « Exiger la protection de l’environnement impose que l’homme se soumette à des obligations envers la nature ce qui n’implique pas pour autant que la nature ait des droits ». Sur ce même registre, Pierre Joliot (2001), biologiste français et membre de l’Académie des sciences, écrivait: « Une société qui survit en créant des besoins artificiels pour produire efficacement des biens de consommation inutiles ne paraît pas susceptible de répondre à long terme aux défis posés par la dégradation de notre environnement ».
Le concept de transition écologique a été introduit initialement par Rob Hopkins (2005), initiateur du « mouvement international des villes en transition, regroupant un ensemble de principes et de pratiques formés à partir des expérimentations et des observations d’individus, de groupes, de villages, villes ou communes, lorsqu’ils ont commencé à travailler sur les problématiques de résilience locale, d’économie en boucle et de réduction des émissions de CO2 ».
Depuis sa théorisation, le concept de « transition écologique », est beaucoup repris pour définir les nouveaux enjeux écologiques, y compris par le gouvernement qui en a également fait une définition :
« La transition écologique est une évolution vers un nouveau modèle économique et social, un modèle de développement durable qui renouvelle nos façons de consommer, de produire, de travailler, de vivre ensemble pour répondre aux grands enjeux environnementaux, ceux du changement climatique, de la rareté des ressources, de la perte accélérée de la biodiversité et de la multiplication des risques sanitaires environnementaux ».(Publication gouvernementale mise à jour le 17/08/2017, par la préfecture de la Manche.).
D’ailleurs le premier ministère dédié aux questions écologiques a été créé en 1971, sous la présidence de Georges Pompidou, il s’agissait alors du Ministère français de l’environnement qui a été rebaptisé en 2017 en Ministère de la transition écologique et solidaire.
C’est donc à partir des années 70 que les questions écologiques sont prises en considération par le Gouvernement. Les premiers enjeux ont été précisés en 1987 dans le rapport de l’ONU intitulé : Notre avenir à tous. La France a suivi les recommandations en publiant les premières lois liées à l’écologie telles que les lois dites « montagnes et littoral » ou bien la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature.
Il faudra attendre le Grenelle de l’environnement de 2007 pour avoir les premières réelles directives concernant le secteur de l’immobilier. Elles avaient pour objectif en ce qui concerne les bâtiments existants de réduire de 38 % la consommation énergétique du parc de bâtiments existants en 2020. En 2021, ce chiffre n’a pas été atteint, c’est ainsi que le gouvernement a promulgué diverses lois jusqu’au « décret tertiaire » qui semblerait pouvoir changer (enfin) les choses. Pour traiter de sa mise en œuvre, nous préciserons dans une première partie ce que le décret tertiaire nous enjoint de faire. Puis, nous traiterons des difficultés de sa mise en œuvre, des contraintes qu’il impose aux professionnels et de ce qu’il se passe sur le terrain.
Le décret tertiaire : de quoi est-il question ?
Le décret tertiaire a été instauré par la Loi Grenelle II de 2010. Il a ensuite été repris par la Loi de la Transition Energétique de 2017, ainsi que par la Loi ÉLAN du 16 octobre 2018. Cette dernière a pour objectif de présenter l’obligation de l’amélioration de la performance énergétique du parc tertiaire, et son décret en précise les modalités d’application. Le décret tertiaire est officiellement entré en vigueur le 1er octobre 2019.
Le décret tertiaire 2021 a pour objectif de favoriser l’efficacité et la sobriété énergétique des bâtiments tertiaires en France. Il demande aux usagers de ces bâtiments de diminuer la consommation énergétique de 40% d’ici 2030, de 50% d’ici 2040 et de 60% d’ici 2050. Ce décret concerne les propriétaires de l’ensemble des bâtiments ou locaux tertiaires et dont la superficie est supérieure ou égale à 1000 m².
Son fonctionnement est assez simple sur un plan théorique. Mais qu’en sera-t-il dans sa mise en œuvre ? En effet, le suivi des consommations énergétiques des bâtiments concernés devra être envoyé dès 2021 sur une plateforme informatique gérée par l’ADEME (Agence de la Transition Écologique) qui se nomme OPERAT (Observatoire de la Performance Énergétique de la Rénovation et des Actions du Tertiaire). Cette plateforme permettra de recueillir les données nécessaires et de déterminer quels bâtiments respectent cette obligation de diminution de la consommation énergétique.
Pour atteindre ces objectifs, les entreprises devront améliorer la performance énergétique de leurs bâtiments, installer des équipements plus performants, optimiser l’exploitation des équipements et modifier l’aménagement des locaux si nécessaire. En cas d’objectifs atteints voire dépassés, le surplus d’économie pourra être transféré à un autre bâtiment.
Evidemment, des sanctions financières seront prévues en cas de non-respect du décret tertiaire avec une amendes pouvant aller jusqu’à 7 500 € pour les personnes morales ainsi que, l’humiliation que leur nom apparaisse sur un site gouvernementale publique Name & Shame visant à nommer les entreprises ne respectant pas cette obligation de baisse de la consommation d’énergie, ce qui augure de bien des difficultés pour sa mise en œuvre.
Difficultés de mise en œuvre du décret tertiaire
Ce décret qui a été adopté pour entamer la transition écologique, à laquelle nous ne pouvons pas échapper, n’est pas des plus simples à appliquer sur le terrain. Comme tout changement, il existe plusieurs difficultés auxquelles sont confrontés les professionnels de l’immobilier tertiaire et les occupants ou bailleurs de locaux soumis aux dispositions du décret. Cette publication légale va impliquer pour les bailleurs de mettre en place une démarche, un processus, afin de collecter les informations demandées par le décret. Le professionnel gestionnaire ou le propriétaire bailleur devront faire face à des difficultés de mise en œuvre, car ils devront avoir une parfaite connaissance du patrimoine et des usages de chacune des surfaces louées, ce qui n’est pas toujours le cas. A cette fin, le bailleur particulier ou le gestionnaire, pourraient par exemple créer un questionnaire pour que son locataire lui indique les informations nécessaires pour être conforme aux exigences du décret tertiaire.
Mais là encore, apparaît une nouvelle difficulté. Imaginons que notre bailleur ou gestionnaire contactent son locataire à l’adresse du bâtiment mais que celui-ci fasse partie d’un groupe ou d’une chaîne de magasins. Dans ce cas de figure, les factures d’énergie et de loyers sont la plupart du temps, gérées directement au niveau central, et le personnel du local en question n’intervient pas dans les échanges. À nouveau, il pourrait y avoir une disparité entre la réalité du terrain et les informations relayées par le service comptable du locataire. On peut donc s’interroger sur la responsabilité de celui qui déclare les informations déclarées par l’autre… Le professionnel de l’immobilier va être dans l’obligation de créer des process afin de respecter ce décret, ce qui va générer des contraintes.
Les contraintes liées à la mise en œuvre du décret
Tout d’abord d’un point de vue financier, ce décret a pour but d’avoir un impact sur les consommations énergétiques du bâti, pour obtenir une amélioration des performances énergétiques. Beaucoup de facteurs entrent en jeu comme les installations d’éclairage à leds, les pompes à chaleur ou encore les chaudières à condensation. Ces installations et un bon usage du bâti permettront de réduire de 40% la consommation énergétique d’ici 2030. Certaines solutions nécessitent un budget faible ou modéré avec un retour sur investissement estimé entre trois et sept ans. Cependant, les travaux lourds nécessitent un budget beaucoup plus conséquent mais apportent des économies d’énergies pouvant aller jusqu’à 70% voire 80%, le retour sur investissement sera visible sur le long terme. Par voie de conséquence, certaines entreprises pourraient rencontrer beaucoup de difficultés pour financer les « gros travaux ». Par ailleurs, plusieurs dispositifs sont accessibles pour faciliter le financement des actions visant à réduire les consommations énergétiques. Parmi eux nous pouvons promouvoir le contrat de performance énergétique, le prêt éco-énergie ou alors utiliser les certificats d’économies d’énergie. De plus, certains dispositifs sont cumulables. Selon la direction immobilière de l’État, le décret tertiaire nécessiterait des investissements à hauteur de 80 milliards d’euros entre 2020 et 2050, afin d’atteindre l’objectif de réduction d’énergie.
Dans le temps, les bâtiments devront atteindre une réduction de la consommation d’énergie de 40% d’ici 2030, 50% en 2040 et 60% en 2050 par rapport à une année de référence choisie au préalable entre 2010 et 2020. Pour respecter le décret tertiaire et obtenir une réelle diminution d’énergie, il est préférable de solliciter l’analyse et l’expertise d’un professionnel. Le professionnel en question, disposera du cahier des charges et des rétro plannings pour obtenir une réduction effective des consommations énergétiques, et ceci, en un temps défini. La durée des travaux dépendra de l’importance des travaux nécessaires à l’obtention de cet objectif final.
Sur le plan juridique, le décret tertiaire est entré en vigueur le 1er Octobre 2019, et il rend obligatoire la mise en place d’actions pour réduire la consommation d’énergie dans les bâtiments tertiaires. Le secteur du bâtiment est le premier consommateur d’énergie en France, la mise en place de ce décret est nécessaire. La réglementation précise que la réduction de consommation d’énergie vise chaque « entité fonctionnelle » (donc chaque établissement défini par un numéro de SIRET) et non pas à l’échelle du bâtiment. Mais sur le terrain, qu’en est-il ?
Sur le terrain, entre flou des textes et tâtonnement pour leur mise en œuvre
Pour plus de visibilité, nous allons prendre l’exemple d’une entreprise dont nous préférons conserver l’anonymat. Il s’agit d’une entreprise de gestion d’actifs immobiliers impactée directement par la mise en conformité du patrimoine vis à vis du décret tertiaire. Le patrimoine de cette société est composé essentiellement de bureaux, commerces et locaux professionnels détenus en pleine propriété mais aussi en copropriété. Nous avons vu précédemment que la transition énergétique était un enjeu primordial dans le secteur de l’immobilier et particulièrement dans le domaine tertiaire avec ces nouvelles obligations découlant du décret tertiaire. L’organisation doit être précurseur dans ce projet si elle souhaite développer son image en interne et en externe. Les échéances imminentes sont à prendre en considération.
La mise en conformité vis à vis du décret tertiaire reste floue et imprécise sur sa procédure opérationnelle. Cette entreprise doit établir un plan d’action afin de répondre aux différentes obligations à court terme.
Dans un premier temps, la première action consiste à désigner les actifs assujettis au décret tertiaire. Pour ce faire, les gestionnaires ont pour objectifs de contacter l’ensemble des syndics de copropriété afin de leur demander d’interroger les copropriétaires des locaux à usage tertiaire pour obtenir la superficie totale dédiée à une activité professionnelle. Grâce à cette étape la structure pourra savoir si la surface est égale ou supérieure à 1 000 m², et donc si l’immeuble est concerné par ces obligations. En parallèle, les gestionnaires analysent les actifs détenus en pleine propriété et renseignent un tableau qu’ils transmettent par la suite au prestataire mandaté pour les aider dans la mise en conformité du patrimoine.
Dans un second temps, les gestionnaires demandent d’ajouter à l’ordre du jour des prochaines assemblées générales des copropriétés assujettis au Décret tertiaire une résolution permettant de prévenir les copropriétaires des enjeux, des modalités et du rétro planning de la mise en œuvre de ce décret. Il est indispensable de sensibiliser les exploitants des locaux détenus en pleine propriété afin de les impliquer dans la démarche.
Pour finir, les gestionnaires épaulés de l’organisation missionnée pour la mise en conformité se charge de recueillir, centraliser et analyser les données de consommation énergétique. Suite à cette collecte, l’entreprise choisit une année de référence de pleine exploitation entre 2010 et 2020. Ces données vont être rassemblées et transmises pour établir un plan d’action pluriannuel pertinent visant à voir les progrès via la plateforme gouvernementale OPERAT. L’organisation pourra piloter les installations et les optimiser afin de répondre aux obligations de ce décret tertiaire.
Conclusion
Nous avons décliné la genèse du Décret tertiaire et les enjeux de transition écologique qu’il implique pour les entreprises concernées. Le décret tertiaire s’inscrit bien dans la cadre de la transition énergétique afin de la faciliter, autant que faire se peut. Au travers d’une diminution des consommations énergétiques, il intervient au sein du secteur de l’immobilier tertiaire. En clair, les usagers des locaux à usage tertiaire se sont vus fixer des objectifs de réduction des consommations sur plusieurs échéances (2030, 2040 et 2050).
Comme nous avons pu le développer avec l’analyse d’une entreprise de gestion d’actifs immobilier, le premier enjeu que fixe ce décret est de pouvoir déterminer les actifs concernés et ensuite pouvoir quantifier, synthétiser et centraliser les données de consommations énergétiques afin de pouvoir jauger leur évolution. Cela se fera au travers d’une plateforme gouvernementale prévue à cet effet. Il est évident que ce n’est qu’une première étape, et que des orientations stratégiques vont découler de l’analyse de ces données.
Le décret tertiaire intervient clairement comme un levier d’action permettant de répondre en partie aux enjeux de la transition écologique, même si sa mise œuvre ne sera pas des plus simples. La démocratisation du télétravail, conséquence de la crise sanitaire, pourrait être une de ces actions favorisant une diminution des consommations des bâtiments tertiaires.
Bibliographie
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