En cas d’échec de la condition suspensive de l’acheteur, que devient l’indemnisation du conseiller immobilier

Le Code de la consommation pose en son article L.313-41 une règle de protection particulièrement forte dans le cas où l’acquéreur n’obtiendrait pas son crédit. Cette protection consiste à le délier de son obligation principale, mais également à ce que toute somme versée d’avance soit immédiatement et intégralement remboursable sans retenue, ni indemnité à quelque titre que ce soit [1].

Toutefois, cette protection n’est pas absolue. Le législateur précise ainsi dans le Code civil que la condition suspensive est réputée accomplie dès lors que celui qui y a intérêt en empêche l’accomplissement [2].

De ce fait, larticle 6 de la loi Hoguet (qui subordonne pourtant le paiement des honoraires de l’agence à la conclusion effective de la vente) ne fait pas obstacle à ce que l’agence obtienne la réparation de son préjudice dans le cas où la non-réalisation de la condition suspensive serait due au comportement fautif de l’acquéreur, dans la mesure où ce dernier lui fait perdre la chance de percevoir sa commission. Le pourcentage de commissionnement alors alloué est laissé à la libre appréciation des juges.

Ce droit sera en revanche conditionné par la démonstration d’une faute de l’acquéreur.

1. Justification du dépôt de la demande de prêt

La condition suspensive de prêt est réputée accomplie dès lors que les acquéreurs échouent à justifier du dépôt d’une demande de prêt correspondant aux prévisions fixées [3]

La pratique s’est attelée à fixer les modalités de réalisation de la condition suspensive de prêt, celles-ci étant relatives :

  • au montant maximum de la somme empruntée ;
  • à la durée maximale de remboursement ;
  • au taux nominal d’intérêt maximum ;
  • au nombre minimal d’organismes à solliciter [4];
  • à la date maximale de réception de l’offre de prêt éditée.

Ces éléments que la loi n’impose pas, permettent de limiter les risques d’une demande de prêt vouée à l’échec.  Le juge applique strictement la lettre de ces prévisions, en application des dispositions des articles 1103 et 1104 du Code civil.

En conséquence, l’attestation de refus de prêt non-conforme à ces prévisions est sévèrement sanctionnée lorsqu’elle résulte d’une manœuvre, d’une négligence, de la non-conformité du prêt sollicité ou encore de renseignements volontairement défavorables.

Voici un panel non exhaustif de ces fautes :

  • L’acquéreur qui a sciemment refusé de justifier du remboursement anticipé de son crédit automobile, empêchant ainsi tout déblocage des fonds en sa faveur pour cette raison [5].
  • L’acquéreur qui fait état d’une demande (et d’un refus consécutif) de prêt englobant le coût des travaux de rénovation non initialement prévu à l’acte [6].
  • L’acquéreur qui fait une demande de prêt pour un montant d’emprunt supérieur à celui prévu à la condition suspensive [7].
  • L’apport tardif des justificatifs dès lors qu’un délai est prévu pour la réalisation de la condition suspensive et qu’elle n’est pas accomplie à cette échéance [8] (la caducité de la promesse n’étant pas imputable au vendeur qui s’en prévaut [9]).
  • L’acquéreur dont la demande de prêt n’est pas conforme aux exigences financières, ou encore celui qui rapporte seulement une simulation de financement (la simulation de financement n’est pas un accord de crédit, ni une offre de prêt et ne peut aucunement s’analyser en une attestation bancaire de refus de prêt).
  • De manière plus générale, le refus d’accepter une offre de prêt réunissant les caractéristiques financières, ou encore l’absence de volonté probante d’engager les démarches nécessaires pour obtenir le prêt en temps utile.

Il appartient à l’acquéreur dont la responsabilité est engagée, de démontrer que la demande de prêt déposée correspond bien aux prévisions fixées par l’avant-contrat [10]. Il en va de même de l’attestation bancaire de refus de prêt qui doit être détaillée tant sur son motif [11] que sur les prévisions financières de sorte à démontrer la sincérité des démarches engagées [12].

2. Comportement fautif de l’acquéreur

L’acquéreur dont le comportement fautif fait perdre sa commission à l’agent immobilier doit réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle

La responsabilité délictuelle de l’acquéreur pourra être engagée sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil sans que l’action de l’agent ne soit subordonnée à l’action simultanée du vendeur [13] (car cela contreviendrait aux dispositions de ces deux articles).

La nullité du mandat semble également sans effet sur ce droit. En effet, la nullité est « abolie » à partir du moment où la volonté des Parties est exprimée à l’avant-contrat (la vente étant passée aux conditions de l’avant-contrat signé, lequel inclut le recours à l’intermédiaire : cf. conditions en bas de page [14]).

La Cour de Cassation [15] rappelle régulièrement depuis lors, dans des cas d’espèce différents, que « même s’il n’est pas débiteur de la commission, l’acquéreur dont le comportement fautif a fait perdre celle-ci à l’agent immobilier, par l’entremise duquel il a été mis en rapport avec le vendeur qui l’avait mandaté, doit, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation à cet agent immobilier de son préjudice »[16].

3. Réparation de la perte de chance

La réparation de la perte de chance devra être mesurée à la chance réellement perdue

La réparation de la perte de chance devra être mesurée à la chance réellement perdue (il s’agira généralement d’une fraction de commission [17]).

Pour le thème qui nous concerne, cette fraction dépendra en grande partie de la solvabilité des acquéreurs. Selon les éléments rapportés sur ce volet, le préjudice lié à la perte de chance pourra ainsi être apprécié à l’intégralité de la commission ou à une fraction seulement.

Il importe donc d’apporter une attention particulière à la découverte des acquéreurs et au contrôle de leur solvabilité (procédure de vérification qui devra être définie au sein de l’agence et qui servira notamment pour votre vigilance Tracfin s’agissant de la cohérence du financement).

Ce contrôle prend tout son sens, étant entendu qu’il conviendra de s’assurer que toutes les conditions nécessaires soient réunies à l’efficacité juridique de l’acte de vente [18] et, qu’en tout état de cause, il sera difficile pour un conseiller d’obtenir la réparation d’un préjudice qu’il aura lui-même provoqué.

Références

[1] Cour d’appel de Douai, 25 novembre 2021, n°19/06154 : attention aux clauses de substitution puisque la condition suspensive de prêt est strictement personnelle. Elle ne protège que l’acheteur prévu au contrat (Cour de Cassation, 27 février 2013, n°12-13796).

[2] Art. 1304-3 du Code civil.

[3] Cour d’appel de Caen, 31 mai 2022, n° 20/00585 ; Cour de Cassation, 16 janvier 2013, n° 11-26.557 ; Cour d’appel de Dijon, , 3 mai 2022, n° 20/00773 ; Cour d’Appel d’Angers, 13 juillet 2021, n°17/00487 ; Cour d’Appel de Metz, 21 mars 2019, n°18-01061 ; Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 5 octobre 2021, n° 18/19281 : la protection ne s’applique pas si l’acquéreur rend la condition irréalisable.

[4] Cour de cassation, 3 novembre 2004, n° 01-16238 : une telle stipulation doit être rédigée de façon claire et explicite et ne pas prêter à une autre interprétation..

[5] Cour d’Appel de Bordeaux, 26 septembre 2019, n°17/01655.

[6] Cour d’Appel de Lyon, 11 janvier 2022, n° 19/01703 : l’acquéreur qui modifie son plan financier doit solliciter l’accord du vendeur par la régularisation d’un avenant pour modifier les modalités d’exécution de cette condition suspensive afin de pouvoir se prévaloir de ce nouvel accord mais également de ne pas manquer aux accords initiaux (cf : Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 2 mars 2021, n° 18/13262).

[7] Cour de Cassation, 9 juillet 2020, n° 19-18.89.

[8] Faute d’avoir levé l’option dans les délais, la promesse de vente devient caduque conformément au libellé de la clause résolutoire qu’elle comporte (Cour de Cassation, 4 février 2021, n° 20-15.913 ; Cour d’appel de Bordeaux, 4 mars 2021, n° 18/01314.

[9] Cour d’Appel de Pau, 7 septembre 2021, n° 18/03169 ; Cour d’Appel de Paris, 18 novembre 2019, n° 19/03146 ; Cour d’Appel de Reims, 11 février 2020, n° 18/01424 ; Cour d’Appel de Bordeaux, 4 mars 2021, n° 1801314 ; Cour d’Appel de Paris, 18 novembre 2019, n° 19/03146 ; Cour d’Appel de Pau, 7 septembre 2021, n° 18/03169 ; Cour de Cassation, 11 mai 2011, n° 10-12.875.

[10] Cour d’appel de Caen, 31 Mai 2022, n° 20/00585 ; Cour de Cassation, 16 janvier 201, n° 11-26.557 ; Cour d’Appel de Dijon, 3 mai 2022, n° 20/00773 ; Cour d’Appel d’Angers, 13 juillet 2021, n°17/00487 ; Cour d’Appel de Metz, 21 mars 2019, n°18-01061 ; Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 5 octobre 2021, n° 18/19281.

[11] A titre d’exemple, Cour de Cassation, 5 janvier 2017, n° 15-25882 : validité de la demande de prêt tardive dès lors que le refus est motivé pour des raisons de santé.

[12] Cour de Cassation, 30 janvier 2008, n° 06-21117 : les juges ont considéré que les acheteurs n’apportaient pas la preuve d’un refus correspondant à la condition suspensive ; Cour de Cassation, 5 janvier 2017, n° 15-28193 : les attestations bancaires ne mentionnaient ni la durée du prêt, ni son montant, ni son taux d’intérêt (l’acheteur ne justifiait pas avoir déposé un prêt aux conditions prévue).

[13] Cour de cassation, 19 janvier 2022, n° 20-13.619.

[14] La Cour d’Appel de Caen jugeant que le compromis et l’acte authentique indiquaient bien le numéro de mandat, mais également le montant de la commission due. La présence écrite de ces mentions au sein même des actes de ventes permet d’écarter toute contestation relative à la nullité du mandat (Cour d’Appel de Caen, 4 juillet 2019, n° 15/02296).

[15] Cour de Cassation, 9 mai 2008, n° 07-12.449.

[16]   Lire aussi Cour de Cassation 19 janvier 2022, n°20-13.619 ; Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11 mai 2021, n° 18/16859 ; Cour d’appel de Lyon, 12 septembre 2019, n° 17/00426 ; Cour d’appel de Douai, 24 octobre 2019, n° 18/02519.

[17] Cour de Cassation, 14 novembre 2019, 18-23.915.

[18] Cour d’Appel de Fort-de-France, 26 janvier 2021, n° 18/00595 : la Cour constate que l’agent n’a effectué aucune démarche auprès des acquéreurs pour les inviter à procéder au versement du dépôt de garantie. En s’abstenant de réclamer le dépôt de garantie, l’agent manque à ses obligations contractuelles sur le fondement du mandat de vente. L’agent immobilier responsable du préjudice subi par les vendeurs est condamné à ses dépens, sans que la faute contractuelle des acquéreurs (fondée sur le compromis) ne puisse l’exonérer de sa responsabilité  ; Cour de Cassation, 11 décembre 2019 n° 18-24.381 : l’agent aurait dû mettre en garde les vendeurs contre le risque d’insolvabilité de l’acquéreur présenté ; Cour d’Appel d’Angers, 26 octobre 2021, n° 18/02112 : en ne vérifiant pas la solvabilité de l’acquéreur et en n’exigeant pas la constitution d’un séquestre, l’agent manque à ses obligations de conseil et d’information. En outre, la Cour constate que l’agent s’est abstenu de recueillir le moindre élément sur les garanties financières de l’acquéreur, et que le compromis de vente ne prévoyait aucun séquestre ce dont l’agent n’avait aucunement alerté les vendeurs des conséquences de cette absence.

 

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